Les L.U.C. signifient « Lyrisme Universel Clos ».
Il s’agit d’une série de peintures soit à l’huile sur toile, soit à l’acrylique sur bois qui se décline en nombre et en lettre. Cyril Carau a peint les premières au début des années 90. D’abord sur de très petits panneaux qui sont catalogués en « a », puis en format plus grand : les « b », puis en « c », « d »… cela de façon croissante. Le travail en série est systématique. Le motif est presque toujours le même pour un numéro donné et ne varie que par la taille.
L’exégèse s’est penchée sur la signification de ces oeuvres…
Je suis gênée de parler des LUC de Cyril Carau car pour lui ils sont une étape et non pas un but en soi. Au départ Carau a peint des LUO (lyrisme universel ouvert), très peu au demeurant : trois à ma connaissance. Parallèlement il travaillait sur sa série des Tragiques. Entre parenthèse ce sont les seuls tableaux qu’il tient pour réussi. Quasiment l’ensemble de sa production, pour Carau, se résume à des essais, des esquisses, des ébauches et non pas des oeuvres abouties et achevées comme telles. Avec les LUC pourtant on a l’espoir de le contredire. Or lorsqu’on sait quelle est l’ambition picturale de Cyril Carau, à savoir une peinture abstraïste, on est tenté de se ranger à ses arguments. Tenté seulement car là où Carau voit des échecs, nous sommes enclins à y voir de véritables oeuvres d’art.
En effet le caractère inabouti des LUC ne les exclut pas pour autant du champ de la création. Cela pour différentes raisons : d’abord parce que les LUC sont une réelle avancée par rapport au LUO qui ne parvenaient pas à restituer la dimension barbare du monde et demeuraient en de-ça de la représentation. En revanche, les LUC intègrent, via les césures (ces longues barres noires qui quadrillent et écrasent l’espace peint), l’aspect sociétal dans ce qu’il a de contraignant, d’omniprésent, d’émasculateur, de coercitif et d’inquiétant. Ensuite par l’introduction de signes autonomes (des sortes d’araignées ou d’étoiles ou de créatures insectoïdes que l’on devine visqueuses) qui longent l’étendue de la toile et semblent guetter des proies possibles. Dans ses dernières productions Carau les stylise jusqu’à leur donner la consistance de brèches dans l’espace pictural. Le spectateur est libre d’y voir autre chose, mais il se dégage une sorte de malfaisance dans ces quelques traits noirs placés à des endroits stratégiques.
À cela il convient d’ajouter que Carau réussit à codifier l’hétérogénéité. Qu’est-ce à dire ? Ces tableaux apparaissent comme des mosaïques, des entremêlements de motifs qui n’ont rien à voir entre eux. Là une étendue verte ou rouge ou bleue ou mauve, un vortex cosmique, la mer, des plantes ? ou du moins des formes qui y ressemblent, des réseaux, des mailles, des jets d’eau (ou d’autres liquides), des cercles récurrents, etc. seulement ces motifs, bien que figuratifs, ne se limitent pas à signifier leur simple apparaître ; ils acquièrent une valeur générique… et par là deviennent de véritables abstractions visuelles. En cela les L.U.C. sont ce qui s’apparentent le plus d’une peinture proprement abstraïste.
Irina Lippi
Les L.U.C. ? Parlons-en ! J’ai lu le texte d’Irina Lippi. Je suis obligé de réagir. Je pense qu’elle est foncièrement dans l’erreur. Son interprétation prête du sens à des tableaux là où il y en a pas. Pour moi les L.U.C. ne signifient rien. Attention ! je ne nie pas leur qualité d’oeuvres d’art. Quoique « l’art » soit quelque chose de galvaudé. J’affirme que ces peintures ne correspondent pas à l’interprétation qu’en donne Mademoiselle Lippi. Et si pour Cyril Carau ces tableaux sont exclus dans ses efforts pour créer une peinture véritablement abstraïste, ce n’est pas par hasard. Si l’artiste peut se duper lui-même sous l’influence d’admirateurs enthousiastes, l’homme – avec sa conscience subtile de ce qui est – ne se leurre pas une seconde. Par exemple l’évolution des L.U.C., évolution interne des panneaux concernés : le passage du L.U.C. 10 b (acrylique sur bois) au L.U.C. 10 c’ (huile sur toile) signifie quoi ? Au pôle bleu/vert Carau substitue le couple rouge/noir, les « censures » noires deviennent bleues. Doit-on y lire que la censure du monde devient moins terrible, plus douce ou agréable à regarder ? Pas du tout ! Cela ne veut rien dire. On est dans des effets picturaux, c’est tout. Inutile d’y assigner un sens. Ce que j’affirme c’est que toutes les images renvoient au discours du commentateur.
Je me souviens d’une soirée où Cyril Carau s’amusait au jeu de la contradiction, véritable (joute) sophistique. Il prêchait une thèse, puis son contraire avec une facilité déconcertante et heuristique. Puis après s’être tapé une daube, il entreprit de nous démontrer que le film en question (et dont j’ai oublié le titre) était une oeuvre cinématographique majeure. Il s’agissait d’un de ces films d’action de série hong-kongais. Il éleva ni plus ni moins ce navet au rang de chef d’oeuvre en montrant, plans à l’appui et extrait de dialogues, que ce film manifestait par une situation concrète de lutte de gangs (et de générations) le passage de La critique de la raison pure de Kant à La phénomènologie de l’esprit de hegel. Il mit en parallèle les apories de la raison pure (les antilogies) et les réponses d’Hegel avec la position du vieux chef de gang et les réaction du jeune loup adverse.
Ainsi avec les L.U.C. « première génération » et les L.U.C. « seconde génération » on pourrait argumenter de même. Du passage d’une société close illustrée par Platon à la société ouverte prônée par Karl Popper. La censure sociétale demeure, non plus noire mais bleuté. À la couleur bleue on assigne telle valeur et voilà, le tour est joué. Ce banal changement de couleur ouvre à toutes les interprétations dès l’instant qu’on accord arbitrairement telle fonction à tel choix de coloris, de forme, de médium pictural, etc. Ces tableaux renvoient à eux-mêmes, c’est tout et ne signifient rien de plus que ce qu’ils nous donnent à voir. Le reste est affaire d’imagination. Penser autre chose serait de la mauvaise foi.
Stéphane Roche
Je ne tiens pas à entrer dans une quelconque polémique ; seulement le texte de Monsieur Roche loin d’invalider ma thèse apporte tout au contraire de l’eau à mon moulin. En effet les LUC ne se réduisent pas à une banale tentative de ce que pourrait être une peinture authentiquement abstraïste ayant pour fin la simple illustration de la société et du monde par des moyens picturaux. Ils ont une vie en soi. Dans ce cas leur sens renvoie à eux-mêmes. D’accord. Mais leur consistance ontologique est telle qu’ils manifestent de façon générique (et non pas arbitraire selon l’imagination du spectateur comme le pense à tort Stéphane Roche) la polysémie des images.
Dans la Représentation, une image (ou un ensemble d’images : des films, des photos, des peintures) en vient à pouvoir « tout » signifier car elle reverrait à elle-même : la Représentation. Or cette thèse – et il suffit de lire La socièté barbare contre les civilisations pour la saisir dans toute son ampleur – se manifeste dans les travaux picturaux (et les LUC en particulier) de Cyril Carau. C’est cette mise en abîme entre l’image et le sens, la Représentation et la Vérité que manifeste par des moyens plastiques les Lyrismes Universels Clos, cela, à mon avis, de manière plus incisive que les Tragiques. Autrement dit les LUC sont des hublots ou des fenêtres sur la vérité du mensonge. Mon texte précédent n’a jamais voulu dire autre chose.
Irina Lippi